Le promoteur, la banque et le rentier : Fondements et évolution du logement capitaliste. Louis Gaudreau (avec une préface de Christian Topalov), Lux Éditeur, 2020, 448 p.
Nous voici donc arrivés à la troisième et dernière chronique reliés à la promotion immobilière. Mais cette fois, avec Fondements et évolution du logement capitaliste comme sous-titre, on est bien loin de l’autobiographie ou du manuel du promoteur en devenir. Avec Le promoteur… nous sommes bien servis par l’écriture à la fois dense, mais fluide de Louis Gaudreau, qui nous présente bien plus qu’une simple histoire du logement en Amérique du Nord. C’est le récit de sa lente mutation, de son évolution et finalement de son intégration au système capitaliste contemporain.
La force du tableau brossé par l’auteur réside en fait dans cette illustration des mutations ayant traversé la notion (l’approche métaphorique) et la matérialité (évolution constructive et promotionnelle) du logement. De ses origines dans la féodalité européenne continentale et britannique, qui se permettaient une vision plus fluide de l’appropriation du sol (et des gens qui se le partageaient), jusqu’à devenir le domaine quasi exclusif du propriétaire en titre. À travers trois périodes distinctes (industrialisation, fordisme et financiarisation) dans la manière de produire le logement, l’auteur bâtit un argument solide autour de l’intégration de plus en plus sophistiqué, de la subordination (« soumission ») du logement au capital. Ainsi, même si le logement demeure, pour la plupart d’entre nous, plus que la somme matérielle de ses composantes, il est maintenant incontestablement intégré dans l’ensemble « financiarisé » du capitalisme avancé. De plus, puisque l’État semble avoir décidé de jeter son dévolu derrière des mesures d’aides individuelles, il devient maintenant difficile de trouver les ressources nécessaires à une réponse collective au problème du logement.
Les limites de ce qu’est devenu ce système financiarisé de production du logement sont manifestes. Pour l’urbaniste, comme facteur aggravant, il faut aussi reconnaître le rôle non négligeable de la réglementation de zonage restrictive (usages, densité et stationnement minimum). Mais les solutions existent, et l’auteur en expose quelques-unes en conclusion, comme un changement aux formes légales privilégiées par l’État (et les municipalités) dans l’aide apporté, c’est-à-dire un usage plus stratégique des coopératives, des logements publics ou des fiducies foncières communautaires, qui pourraient tous, à leurs façons, s’avérer des pistes fructueuses à long terme.
Sur les traces de : Le promoteur, la banque et le rentier
Comme c’est souvent le cas pour ce type de livre, quelque peu à gauche du réel, mais fermement ancré dedans, c’est un article du journal Le Devoir qui me l’a fait découvrir. Rarement un volume qualifié de « dense exposé historique et sociologique » afin « d’ouvrir les yeux du lecteur sur sa propre attitude […] face au marché de l’immobilier » aura aussi sympathiquement livré sa marchandise. Un des seuls reproches que je lui fais : le lecteur aurait terriblement bénéficié d’un index.
La « bibliographie sélective » est toutefois bien garnie et inspirante. Dans la catégorie des ouvrages qu’il faisait bon voir mentionner, on a de Gaston Bachelard, La poétique de l’espace. Toujours essentiel. Dans la catégorie des textes qu’il faudrait bien parcourir un jour, il y a La production de l’espace, d’Henri Lefebvre. Le livre est difficile à trouver, mais une recherche internet nous conduit facilement au texte d’origine.
Quatre ouvrages sur l’histoire de l’habitation et du logement au pays sont maintenant sur ma liste. Dans un premier temps, Housing the North American City et Homeplace : The Making of the Canadian Dwelling over Three Centuries. Pour se rapprocher des réalités montréalaises, de l’historien Paul-André Linteau, Maisonneuve ou comment des promoteurs fabriquent une ville. Le prochain demeure sous forme de thèse de doctorat (David B. Hanna, McGill University, 1986), mais une simple recherche internet permet d’y accéder : Montreal, a City Build by Small Builders, 1867–1880.
En dernier lieu, je vais citer le remède qui conviendrait « idéalement », selon l’auteur, à neutraliser le problème « de la centralité de la rente foncière comme mécanisme de régulation et comme intermédiaire incontournable du financement, de la production et de l’usage du logement. » Ce remède s’avérerait être « […] la suppression de la propriété et du crédit lucratifs pour les remplacer par l’investissement collectif et la propriété d’usage » (p. 425). L’auteur reprend à son compte un fragment de la proposition fait par Bernard Friot dans son ouvrage, L’enjeu du salaire. Louis Gaudreau recommande cette lecture afin d’en « apprécier le caractère tout à fait réaliste, quoique très ambitieux ». En effet, c’est peu dire.