Policing the Open Road—How Cars Transformed American Freedom. Sarah A. Seo, Harvard University Press, 2019, 352 pages [version ebook lu sur Kindle]
L’histoire de la place et du rôle croissant de l’automobile dans nos vies est aussi l’histoire de la présence croissante et du contrôle discrétionnaire presque illimité de la police sur nos vies. Cela est certainement vrai dès que nous nous retrouvons sur la route, dans un véhicule automobile. Du moins, c’est la thèse échafaudée et abondamment appuyée que nous propose Madame Sarah A. Seo dans ce livre. Il faudra bien admettre, après cette lecture, que l’association commune entre « automobile » et « liberté » sera à jamais rompue.
Pour des raisons universellement acceptées de sécurité (des usagers de la route) et de gestion (des véhicules eux-mêmes et du trafic), les autorités publiques ont dû rapidement bâtir et réorienté vers le contrôle routier les forces embryonnaires de polices qui existaient au début du siècle précédent. Le tout afin de discipliner cette masse de citoyens qui envahissaient, dès les premières décennies du 20e siècle, les routes avec leurs nouveaux « engins moteurs ».
Pour la première fois dans l’histoire des rapports entre les citoyens et l’état, cette nouvelle réalité entraînait des contacts fréquents et de nombreux points de frictions. Certainement, les nouvelles « libertés » sur les routes ont été perçues comme tangibles et réelles. Paradoxalement, cette « liberté » se trouvait limitée par un arbitraire policier qui n’existait pas avant l’apogée du motordom. L’évolution de la jurisprudence, loin d’étendre la protection du domicile à l’automobile, a plutôt fait de ce dernier un simple contenant « public », ouvert à l’inspection policière, sous le prétexte d’une infraction au Code de la route, à la sécurité routière ou toute autre infraction municipale (il y en a toujours une).
Ce que cet ouvrage démontre est que la ligne a été franchie depuis longtemps, lorsqu’il s’agit de l’automobile, entre nos droits, en tant que citoyen, et la capacité de la police d’intervenir, sans supervision judiciaire effective. Aujourd’hui encore, il est difficile de réconcilier la nécessité d’un environnement routier sécuritaire et notre intégrité légale, en tant que citoyen. Le meilleur moyen de garantir nos droits dans l’avenir est probablement, comme le propose l’auteur, de retirer à la police les responsabilités civiles de la sécurité routière et de les confier à des corps civils dédiés.
Sur les traces de Policing the Open Road
Plusieurs occurrences choquantes et comportements inacceptables survenus au cours des dernières années lors d’interception policière effectuée sous le prétexte d’un contrôle routier ont rendu les propos de ce livre particulièrement saillant. D’autant plus que le public commence à prendre conscience du rôle disproportionné joué par le profilage des groupes minoritaires ou marginalisés dans de telles circonstances. Dans ce contexte, deux podcasts proposent des entrevues marquantes avec Ms Seo, soit The War on Cars, et plus récemment, 99 % Invisible. Elles méritent amplement le détour, en plus du reste.
Compte tenu de la nature du sujet et des recherches approfondies que le propos a nécessitées, je n’arrive pas à comprendre pourquoi les sources ne se trouvent pas regroupées et même commentées dans une bibliographie distincte. Pourquoi les enfouir dans les notes en fin de volume ? Cela rend l’information difficile à retrouver ou à (re) découvrir une fois le livre terminé. Je ne veux pas vraiment me résigner à cette situation que je rencontre trop souvent. Malgré tout, voici quelques ouvrages qui ont attiré mon attention, extraits de ces notes, justement.
Sur le thème des interfaces routinières entre la police et l’automobiliste, cette fois plus spécifiquement sur l’acte à l’origine de toutes ces confrontations : Pulled Over—How Police Stops Define Race and Citizenship. Plus étroitement, sur le rôle fondamental de l’automobile et comment on en est arrivé là : Republic of Drivers—A Cultural History of Automobility in America. Pour mieux assimiler ce phénomène qui fait de l’automobile l’objet de consommation numéro un : A Consumers’ Republic—The Politics of Mass Consumption in Postwar America.
Deux derniers ouvrages qui couvrent les mêmes périodes, mais sur des sujets très différents. Du côté de la forme et de la matière : Power, Speed, and Form—Engineers and the Making of the Twentieth Century. Du côté des idées, pour mieux comprendre l’époque progressiste et la volonté, paradoxales, de restreindre à des groupes choisis les fruits de ce progrès : Illiberal Reformers—Race, Eugenics, and American Economics in the Progressive Era.