Urban Nation—Why we need to give power back to the cities to make Canada strong. Alan Broadbent, Harper Collins Canada, 2008, 244 pages.
Le plus souvent, de nos jours, lorsqu’on entend dire que nous sommes une « urban nation », on n’aura pas tendance à s’imaginer que nos villes sont des cités-États ; comme autant de mini Singapour ou de petites principautés à la Monaco ou Saint-Martin. Il semble plus évident de comprendre que nos villes forment l’essentiel des concentrations de population et d’immigration, nos centres créatifs, artistiques et intellectuels. Elles sont fondamentalement les engins modernes de la vitalité culturelle et économique du pays. Dans le cas de la vaste majorité des cités canadiennes et de l’Amérique, c’est le cas depuis même bien avant la Deuxième Guerre.
Certainement, il faut constater que dans notre contexte constitutionnel canadien, cette puissance des villes ne se traduit pas toujours, même rarement, en leviers politiques équivalents. Qu’elles soient vues comme des « filles de la Province » (dixit Maurice Duplessis) ou de simples « créatures », les villes ont depuis leurs fondations eu à gérer une situation où les demandes sur leurs ressources dépassent de loin leurs capacités à fournir. Aussi, en tant que gouvernement essentiellement « administratif », il n’existe aucun moyen pour elles d’aller chercher, sans le consentement du « parent » provincial, les ressources financières qui seraient nécessaires pour répondre aux attentes croissantes et diversifiées de sa population. Et cette dernière qui n’y recherche pas moins, et avec raison, sa prospérité.
Mais alors, si une majorité de la population vie dans les centres urbains, pourquoi ceux-ci ne semblent pas faire plus de poids aux niveaux fédéral et provincial ? La représentativité parlementaire donne encore une voix disproportionnée aux régions et dilue grandement l’impact politique des villes. De plus, la constitution donne en exclusivité aux provinces le pouvoir de constituer (ou non), de former (ou non), de déléguer (ou non) un pouvoir à toutes municipalités, selon la manière dont elle l’entend et ceci, jusque dans la capacité de la faire disparaître. Envisager qu’une province puisse se départir volontairement d’un tel pouvoir est aussi impossible que, pour paraphraser une expression connue, d’envisager qu’une assemblée législative provinciale puisse scinder son territoire pour en exclure sa ville la plus productive et lui remettre les mêmes pouvoirs qu’une province.
Sur les traces d’Urban Nation
C’est pourtant le « suspension of disbelief » que nous demande de faire Alan Broadbent dans ce livre. L’analyse de la situation tragique et assez unique dans lequel se trouvent nos villes canadiennes, mais principalement les grandes villes-régions que sont Montréal, Toronto et Vancouver, est des plus justes et cinglantes. À l’échelle nationale, ces villes regroupent l’essentiel de la population et en sont évidemment les principaux engins des avancées sur le plan intellectuel, culturel et économique. Dans leurs provinces respectives, ces villes et leurs grandes régions sont les générateurs contemporains de la richesse et de la croissance pour une vaste partie de la population.
La question que tente ici de résoudre l’auteur est celle du canyon entre les villes comme centre de création polycentrique, multifonctionnel et pluridisciplinaire contemporain et le traitement infantilisant et régressif, sur le plan politique, dans lequel nos institutions cadrent ces entités urbaines. Ne devraient-elles pas disposer de pouvoirs au moins équivalents, ou du moins avoir la capacité d’acquérir un poids politique et contrôler leurs destinées avec la même aisance qu’une province ? L’auteur montre bien comment l’évolution de l’économie canadienne, qui est passé de pays qui, à sa fondation, en était un de régions-ressource, avec quelques villes de « contrôles » et industrielles, à fini par basculer, assez rapidement, vers une économie où le rôle de quelques villes-centre n’était plus en soutient à l’arrière-pays générateur de richesses, mais sont devenue elles-mêmes les principaux centres de la création de cette richesse. Mais à ce point, tous les pouvoirs étaient déjà entre les mains des provinces.
Malheureusement, s’il y a un domaine où l’on ne se laisse jamais convaincre par des arguments factuels ou des statistiques, aussi raisonné et pertinent qu’ils soient, ni hier ni aujourd’hui, c’est bien celui de nos institutions politiques. Surtout avec nos sensibilités toutes particulières et nos âpres jalousies de pouvoir, autant au Québec que dans les autres provinces. Ce livre a toutefois le mérite et le courage de proposer que nos villes puissent enfin exercer un pouvoir politique et décisionnel concomitant avec leurs importances. Pourquoi ne pas envisager ce monde, le temps d’une lecture ?
Le texte de cette revue a été publié le lundi 27 septembre 2021.