À nous la ville! Traité de municipalisme. Jonathan Durand Folco, Écosociété, 2017, 200 p. (lu en version epub)
Il y a de ces idées qui sont le reflet de leurs époques. Ainsi, je n’ai aucune raison de douter que le portrait de la condition ouvrière dans l’Angleterre victorienne fait par Friedrich Engels fût autre chose que la réalité des gens à cette époque. On pourrait même concéder que les remèdes proposés (avec Karl Marx) dans son Manifeste du Parti communiste pouvaient se tenir. Plusieurs ont été inspirés par ces idéaux de solidarité et ont implanté ce socialisme, du moins dans nos démocraties avancées. Mais avec l’économie financiarisée qui prend racine au début des années 1980, force est aussi d’admettre que cette lutte n’est jamais vraiment finie.
Il est donc normal de voir l’émergence de nouvelles propositions pour une solidarité contemporaine, calibrées pour faire face aux défis polycentriques (l’émergence des nouvelles ploutocraties, des instances gouvernementales capturées aux profits des industries, les changements climatiques, etc.) qui marquent notre époque. Entre en scène cet opuscule-traité-manifeste de M. Durand Folco qui y va du « municipalisme » comme planche de salut politique. On y propose de dépasser l’abstraction du développement durable pour « un concept plus concret et multidimensionnel de soutenabilité politique, sociale, économique, environnementale et territoriale » (p. 68). Au lieu de parler de décroissance, on proposera l’émergence d’une économie « post-croissance » (p. 71), qui pourrait inclure « la municipalisation partielle de l’économie […] mélange d’institutions publiques locales, de coopératives et de petites entreprises sociales ancrées dans la communauté » (p. 73). Le municipalisme s’incarnerait ainsi comme « une lutte démocratique orientée vers l’émancipation, l’autogouvernement, l’égalité sociale et la création de nouvelles communautés politiques (et non seulement culturelles)» (p. 173). Selon le manifeste À nous la ville !, les six grands principes du municipalisme sont la participation citoyenne directe, la démocratisation, la décentralisation, la solidarité intermunicipale, la justice sociale et la transition écologique (p. 224-25).
Ce livre est paru en mars 2017, avant les élections municipales à l’automne de cette même année. C’était aussi, juste après les élections américaine de 2016, de la période de prise de conscience collective des dérapages qui peuvent survenir lorsque nos démocraties avancées basculent dans une logique populiste. Avec cette réalité en tête, on est porté à se demander si, rétrospectivement, les trois premiers principes du municipalisme sont compatibles avec ses trois derniers.
Sur les traces de À nous la ville !
C’est en feuilletant L’État du Québec 2021 : La relance du Québec en 25 thèmes, que j’y ai découvert un texte de Jonathan Durand Folco qui abordait la question de l’après covid du point de vue des municipalités (22. Les municipalités comme tremplin de l’après ?). Je ne sais pas si c’est le format spécifique de la publication, le public cible du texte ou la réalité des dernières années qui a sablé les angles, mais sans pour autant renier l’orientation solidaire, le texte y va nettement moins fort sur les alternatives de gouvernance à tendance « municipaliste » que dans son livre.
À nous la ville! est un de ces ouvrages sans bibliographie et sans index. Mais il y a des notes, et elles sont assez informatives, alors je vais prendre la peine de souligner quelques ouvrages qui se sont ajoutés à ma liste après la lecture du livre de M. Durand Folco. (Correction : il n’y a pas d’index, mais avec la version ePub, il est évidemment possible de faire une cherche du texte par mot-clé ou passage de texte. Je crois toutefois que cette fonction ne remplace pas un index raisonné, compilé et travaillé par l’auteur.e, implanté par l’éditeur).
J’ai toujours eu une fascination morbide pour l’implosion du parti de l’ancien maire de Montréal, Jean Doré. Bien hâte alors de lire Trente ans de politique municipale. Sur la question purement politique du « Que faire ? » en temps moderne, Politique de l’extrême centre semble être une ressource à explorer.
Sur les fiducies foncières communautaires et les moyens alternatifs de profiter de la propriété pour tous sur le long terme, le Manuel d’antispéculation immobilière semble tout indiqué.
Les deux prochains titres seront mentionnés dans leur version originale anglaise, même si elles sont citées en traduction française dans le livre. De David Harvey (mentionné la semaine dernière), From the Right to the City to the Urban Revolution. D’un auteur, John Holloway, dont j’ai découvert l’existence dans ce livre, Change the World Without Taking Power : The Meaning of Revolution Today. Le premier fera sûrement l’objet d’une chronique au cours de l’année.
Finalement, deux documents qui semblent difficiles à obtenir de façon courante. De Michel Castells, La question urbaine (1972) et d’Alberto Magnaghi, Le projet local (traduction de l’italien). Je vais probablement tenter d’obtenir ce dernier et en faire part ici.