On aime toujours s’imaginer que notre réalité va bien au-delà de ce qui est aisément perceptible. Dans un sens, des livres comme ceux de Ms Hurley sont exactement dans cette catégorie : sous l’ordinaire du genre (ici, la banlieue) se cache une complexité, des niveaux de nuances impossible d’imaginer sans une connaissance approfondie du lieu. Mais encore, cette volonté de faire différemment et mieux peut-elle survivre à l’érosion du temps et la marche implacable des systèmes dominants?
Chose certaine, dans Radical Suburbs, l’auteure démontre clairement que des gens ont, à plusieurs moments du 20e siècle et pour des raisons qui se voulaient à la fois universelles et spécifiques, tenté de s’approprier des banlieues comme modèle radical. Des enclaves aux principes qui semblaient irréconciliables (même utopique), dans le sens qu’ils confrontaient les préjudices (« vérités ») de leurs époques, ces communautés avaient choisi l’isolement par rapport à la cité, non pour mieux vivre l’ordinaire, mais plutôt pour incarner pleinement, dans leurs quotidiens, ces visions radicales. En ce sens, ils renversaient la formule « banlieusarde » de l’isolement dans l’exclusivité unifamiliale afin de collectivement habiter une convention d’idées, de philosophie et parfois même un idéal constructif qui leurs étaient propres.
L’auteure nous dépeint essentiellement six (6) de ces « intentional communities » (p. 48), qui vont de la commune développée autour d’une foi qui interdit le renouvellement (Ambridge, PA), aux anarchistes « pendulaires » (Stelton Colony, Piscataway, NJ), en passant par les esthètes des Garden City (Greenbelt, MD), du modernisme (Six Moon Hill and Five Fields, Lexington, MA), des constructeurs d’intégration (Concord Park, Trevose, PA) et finalement ceux qui pensaient pouvoir faire une nation de modèles New Towns (Reston, VA), une version plus complète, diversifiée (fonctionnellement) et moins parasitaire de la banlieue.
L’histoire de ces expériences « radicales » en est une du triomphe momentané des idéaux sur la matière. Quelques idéaux éthiques ou esthétiques qui se sont matérialisés, l’espace de quelques décennies fructueuses. Mais il est difficile, comme le souligne l’auteure, de ne pas s’imaginer que la majorité de ces expériences ont probablement été affaiblies par ce qui est la caractéristique première de l’enclave exclusive de banlieue, soit son isolement.
Sur les traces de Radical Suburbs
J’ai pour la première fois entendu parler de l’œuvre grâce à l’épisode 3 d’un podcast maintenant en pause, Nice Try! (Utopian), qui portait sur le contraste entre Levittown, l’archétype de la banlieue, et Concord Park, qui est une des « Radical Suburbs » décrit dans l’ouvrage. Le « radical » ici étant la volonté de vivre dans une communauté intégrée sur le plan de la couleur de la peau des résidents. Cet épisode est essentiel, mais il faut se gâter pour vrai et s’écouter la totalité des huit (8) épisodes de la première saison de Nice Try!
L’auteure a eu la bonne idée de classer ses sources documentaires en fonction des chapitres. Je commence toutefois par un livre qui fera bientôt l’objet d’une chronique dans cet espace, soit l’ouvrage de Richard Rothstein, The Color of Law : A Forgotten History of How Our Government Segregated America (2017) —mentionné comme source du chapitre 5, qui porte sur la banlieue de Concord Park. Suffis pour le moment de s’en faire une priorité de lecture. Un autre livre qui fera bientôt la chronique sur ces pages est le classique du genre, Crabgrass Frontier — The Suburbanization of the United States (1984), de Kenneth T. Jackson —mentionné pour l’introduction.
Il y a enfin quatre (4) ouvrages qui sont maintenant intégrés à ma liste, suite à la lecture de Radical Suburbs. Dans l’ordre utilisé par l’ouvrage, dans l’introduction on notera Bourgeois Utopias : The Rise and Fall of Suburbia (Robert Fishman, 1989), Building Suburbia: Green Fields and Urban Growth, 1820-2000 (Dolores Hayden, 2004) et Crabgrass Cruciale: Suburban Nature and the Rise of Environmentalism in Twentieth-Century America (Christopher C. Seller, 2012). Finalement au premier chapitre, comme ne pas remarquer un livre avec comme titre City of Refuge : Separatists and Utopian Town Planning (Michael J. Lewis, 2016).