Bikenomics—How Bicycling Can Save the Economy. Elly Blue, Microcosm Publishing, 2016, 192 pages. [ebook lu sur plateforme Apple Books]
Cette chronique est la troisième de notre série Le vélo et la ville [3/5]
Je l’ai souvent dit, mais il y eut un temps, jadis, où je doutais fortement des vertus de ce que l’on appelle de nos jours « l’infrastructure vélo ». En lisant ce livre de Madame Elly Blue et les quelques autres dans la série, j’ai même appris que je faisais partie, bien malgré moi, des partisans d’une politique dénommée le vehicular cycling. Le tout a démarré en 1976 avec la publication d’un ouvrage, Effective Cycling, qui prônait essentiellement que le cycliste et son vélo devaient tout simplement « prendre leurs places dans le trafic ». Effectivement, quoi de plus raisonnable ? Qui ne veut pas agir de façon positive et simplement prendre la place qui lui revient de droit dans la rue ? En Amérique en général, cela a permis de réconforter autant le politique pour qui l’inaction est toujours l’option favorisé et ceux qui sont, soit trop naïfs ou trop complaisants pour demander mieux.
On l’aura bien compris, un tel raisonnement ne pourra jamais se substituer à une véritable politique d’affirmation de la place du vélo dans l’espace urbain. Je mets cette phase de mon existence (j’étais un cycliste qui prenait à cœur cette pensée magique) sur le compte d’une insouciance et d’un aveuglement volontaire qui se marient souvent à la jeunesse. Même la difficulté de trouver des partenaires de route, qui enfourchait une bicyclette printemps-été-automne-hiver, pour l’école, le travail, le plaisir et les voyages, était une raison de plus de se convaincre que nous étions les seuls braves en mesure de comprendre et dompter les défis de l’urbanité à deux roues.
J’aime à penser que nos yeux sont maintenant grand ouverts sur la réalité de l’arnaque du vehicular cycling, une phase devil-may-care sur laquelle aucune politique constructive et inclusive ne pouvait venir s’appuyer. Pourtant, pour avoir plus de gens qui décident d’adopter quotidiennement la bicyclette, il faut des accommodations urbaines dignes d’inspirer confiance. Pour cela, s’organiser, offrir une pression politique en ce sens et répandre le message que de l’environnement à l’économie à l’apaisement des nuisances urbaines, chaque déplacement gagné à la cause du vélo contribue de façon exponentielle aux qualités d’une ville.
Sur les traces de Bikenomics
Un exemple percutant du cercle vertueux reliant la bicyclette, l’économie et une richesse urbaine à long terme est le potentiel encore essentiellement inexploité d’une alliance entre le besoin en stationnement à vélo et les artères commerciales.
Ainsi, pourquoi n’avons-nous pas plus couramment un ou deux places de stationnement sur rue remplacé par une douzaine de racks à vélos ?* Pour investir les commerces d’une artère, les citoyens d’un quartier ont besoin de places pour stationner leurs moyens de transport (le vélo). Les commerçants, de leurs côtés, ont besoin de clients qui ont l’assurance d’arriver à destination sans devoir se préoccuper s’ils peuvent trouver une place afin de laisser en toute sécurité leurs montures. Ce type d’investissement est une autre forme d’infrastructure minimale, mais typiquement négligée ou oubliée. La part culturelle réservée aux cyclistes dans la ville à quelque chose d’infamant, entre l’adolescent turbulent et l’anarchiste irréductible (je regarde de ton côté, rue Wellington piétonne, où les cyclistes « sont invités à rouler lentement ou à descendre de leur vélo » — comme si cela n’allait pas se faire naturellement). Ces circonstances se répètent malheureusement sur la totalité des artères commerciales piétonnisées durant la saison estivale à Montréal, parfois même avec encore plus de vexations diriger envers les citoyens choisissant d’accéder à la ville en vélo.
Cette situation est probablement attribuable au fait que ce type d’infrastructure complémentaire constitue un entre-deux, ni réseau de transport ni équipement immobilier. Un réseau cyclable urbain ne peut se limiter à la facilitation des déplacements si elle est pour servir la diversité des usagers, leurs besoins d’accessibilité en toute saison et même être la courroie d’une vitalité urbaine renouvelée. Un réseau cyclable doit travailler avec l’espace urbain pour favoriser sa résilience et accommoder la multitude des réalités en mobilité active (vélos, vélopartage, vélos-cargo, etc.).
Bikenomics de Madame Blue est fidèle à son titre en ce qu’il plaide habilement sa cause en faveur d’une intégration de la bicyclette au sein d’une économie plus diversifiée et mieux distribuée sur un territoire urbain plus accommodant. Cela passe nécessairement par une normalisation et une facilitation de l’accessibilité à vélo dans nos espaces urbains.
*Par exemple, il serait aisé de prévoir un à deux îlots de stationnement aménagé de manière visible, attrayante et confortable à chaque extrémité de la rue et ensuite, un autre groupe à tout les extrémités d’îlot donnant sur l’artère.