Traffic—Why We Drive the Way We Do (and What It Says About Us). Tom Vanderbilt, Alfred A. Knopf, 2008, 402 p.
Il y a plusieurs façons d’aborder ce phénomène informe que nous qualifions de « trafic ». Tragédie ou comédie, synonyme de prospérité économique ou inefficacité inévitable et irrépressible de toutes agglomérations urbaines depuis qu’elles existent (la Rome de l’Antiquité n’y échappait pas), le trafic, et la congestion qui y est souvent attachée, semblent occupé dans nos esprits le même espace que la météo ; ces deux phénomènes sont d’ailleurs souvent rapportés l’un après l’autre aux heures de pointe à la radio. Un peu injustement, ce livre nous rappelle même le titre délicieux d’un article du journal humoristique The Onion : Urban Planner Stuck in Traffic of Own Design. Finalement, pas toujours drôle ce journal.
Mais au-delà, l’ensemble du livre et plusieurs de ses éléments d’information nous portent à approfondir le phénomène qui sous-tend toute la « mobilité » dans nos agglomérations urbaines contemporaines. Pour le pire et de manière presque insurmontable, notre urbanité d’étalement sans fin (ni logique) fait que, chacun de façon bien innocente et irréprochable derrière son volant, nous sommes tous ce « trafic ». Un de ces éléments d’informations, qui entraînerait facilement quelques jours d’insomnie, est que si l’on traitait le phénomène des accidents mortels sur la route comme l’on traite les accidents mortels en milieu industriel, le plus haut niveau toléré, dans un pays comme les États-Unis, serait d’environ 3900 morts annuellement. Bien sûr, le niveau annuel des accidents mortels sur la route (en excluant les blessés, qui eux s’élèvent à plus de deux millions) oscille entre 35 et 40 milles. Si le trafic était une industrie, il faudrait donc fermer boutique et repenser notre façon de travailler, en se posant quelques vraies questions fondamentales, du type : ce moyen de « mobilité », à l’échelle urbaine, est-il optimal, compte tenu des externalités engendrées et de la valeur retournée ? On ne dira pas, encore une fois, que de poser la question, c’est y répondre, mais sérieusement, pourquoi pas ?
L’auteur fait aussi une belle place aux arguments et concepts d’aménagement popularisés par le regretté Hans Monderman. La voiture est une invitée dans la ville, et non sa raison d’être. Il serait bien qu’on se le rappelle, chaque fois que nous sommes appelés à repenser notre cadre bâti, nos artères et nos rues.
Sur les traces de Traffic
Ce livre de Tom Vanderbilt est un autre de ceux que j’avais achetés à sa sortie et qui étaient restés dans ma bibliothèque (mais plus probablement dans une boîte de déménagement) pendant tout ce temps. Comme bien des ouvrages, ce dernier est marqué par son époque, qui était celle des livres « à la » Freakonomics : ce mélange d’anecdotes, de recherches à base de publications scientifiques ou techniques, et d’entrevues avec les principaux chercheurs et pratiquants dans un domaine donné. Souvent, le tout finit par avoir une texture « turns-out », légèrement agaçante. Mais heureusement, pas cette fois. La lecture nous donne simplement à constater, grâce aux histoires et anecdotes racontées avec souplesse dans l’ouvrage, que le mélange automobile et humain est aussi périlleux et toxique qu’on pouvait le soupçonner. L’auteur nous fournit une telle diversité d’exemple, à travers toutes les cultures et les régions du monde, qu’aucun doute ne saurait persister.
L’auteur nous fournit de copieuses notes, mais pas de bibliographie. En les parcourant bien, on y trouve quand même quelques ouvrages qui vont se retrouver sur ma liste et que j’aimerais mentionner ici.
Pour ceux, comme moi, qui pour mieux profiter du présent, aiment s’imaginer vivre au coeur d’une agglomération urbaine dans un autre siècle, on pourra passer de belles heures en lisant : Hubbub—Filth, Noise & Stench in England, 1600–1770. Mais pour se connecter à la ville et à nos réalités de façon un peu plus contemporaine, on pourrait faire pire que de se plonger dans : Emergence—The Connected Lives of Ants, Brains, Cities, and Software.
Un livre qui semble venir chaudement recommandé si l’on veut, après l’ouvrage de Tom Vanderbilt, se plonger toujours plus dans l’univers du conducteur : Psychology of Driving. Pour s’éclairer un peu l’esprit ensuite, j’ai bien hâte de parcourir Bicycle—The History.
Un dernier livre qui porte plus sur la conception des objets de notre monde matériel, mais toujours en lien avec ses implications dans le trafic : The Design of Future Things. À méditer en profitant de nos prochains objets « intelligents ».