Suburban Nation—The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream. Andres Duany, Elisabeth Plater-Zyberk, and Jeff Speck, North Point Press, 2000, 293 pages.
Sprawl Repair Manual. Galina Tachieva, Island Press, 2010, 304 pages [e-book lu sur plateforme Adobe Digital Edition]
Mon exemplaire de Suburban Nation date de sa parution, en 2000, il y a donc plus de vingt ans. L’édition courante est de 2010, mais le seul élément qui semble avoir changé, si l’on se réfère à la page de l’éditeur, est l’ajout d’une préface. Dans le cas du deuxième livre, la seule édition est toujours la première, de 2010 également, soit immédiatement après la crise (essentiellement immobilière) de 2007-2008. Nous vivons encore bien fermement dans le monde de l’étalement suburbain décrit et fermement décrié dans ces deux ouvrages. Cet étalement, cette forme urbaine sans cadre ni contour, cette banlieue si étendue qu’elle se métamorphose continuellement sans jamais prendre consistance urbaine, est pourtant le substrat sur lequel notre futur urbain devra se construire.
Lorsque l’on réfléchit le moindrement à cette situation, on se rend compte que ceci est probablement une des caractéristiques désirées et même hautement recherchées des ensembles émergeant de l’étalement : ne jamais, d’aucune façon, d’aucune manière, pouvoir constituer ou faire de cette étendue asphaltée autre chose qu’un non-lieu urbanisé; surtout pas une ville.
Dans les dix/vingt ans depuis la parution de ces ouvrages, j’ai parfois cette impression que les fenêtres d’opportunités de la reconstruction ou de la refondation, sur les bases d’une certaine urbanité à même les assises de l’étalement, ont diminuée ou se sont compliquées au point de devenir des mirages; des figures clairement imaginable, mais matériellement illusoire. Le fait que ces deux livres parlent d’un moment à saisir pour reconfigurer nos banlieues, pour le mieux-être de l’humanité et de l’environnement, mais qu’en rétrospective ce moment n’apparaît jamais s’être coalisé, en dit beaucoup sur la réalité des obstacles financiers, structurels, idéologiques et institutionnels (réglementaires) qui se trouvent toujours fermement en travers la route de ceux qui pensent autrement qu’en multiple de cul-de-sac.
Le premier groupe d’auteurs (Duany/Plater-Zyberk/Speck) font partie des membres fondateurs du Congress for the New Urbanism (CNU), ironiquement modelé sur les CIAM. L’auteure du deuxième volume est une partenaire de la firme DPZ et a ainsi activement participé à l’élaboration des concepts et outils proposés dans son manuel.
Sur les traces
La difficulté ne repose pas seulement dans la viabilité ou le réalisme des propositions détaillés dans ces deux livres (même s’il y a parfois un peu de cela, surtout dans le Sprawl Repair Manuel). Les auteurs de Suburban Nation sont aussi les fondateurs et partenaires toujours très actifs de DPZ, une des plus importantes firmes américaines en urbanisme de retissage des environnements urbains et suburbains. En d’autres termes, ils sont parfaitement au courant des défis parfois irréconciliables que représentent ces mandats. Ils admettent bien volontiers que certaines propositions, considérées comme essentielles dans le travail de réconciliation urbaine, n’ont jamais réussi à «passer», comme la reconnexion de rues dans des secteurs adjacents, mais socioéconomiquement différencié. Montréal n’est pas en reste sur ce plan (TMR/Parc-Extension, les municipalités le long du boulevard Cavendish, etc.).
Le Sprawl Repair Manuel est très fidèle à son type; une présentation très pratique et abondamment illustrée de solutions de densification, de diversification et d’urbanité pour tous les types possibles et imaginables de banlieues, de fissure urbaine ou d’étalement, peu importe l’échelle ou le lieu. La méthodologie proposée pour approcher ces défis m’apparaît appropriée, mais l’opportunité de voir s’aligner les acteurs et les conditions pour réaliser les opérations nécessaires relève, dans la majorité des cas, de circonstances quasi miraculeuses. Le manque d’exemples concrets (précédents) en fait foi. L’angle aveugle de l’auteur sur la question du stationnement (sur la nécessité de sa restreinte et de sa tarification, voir Shoup) et la nécessité de coordonner le transport public et les modes actifs est surprenant. De plus, les illustrations indiquent souvent une intensification, sur un lieu donné, de l’ordre de plusieurs centaines ou dizaines de milliers de personnes; peu crédible dans notre contexte démographique ou sans une politique d’immigration généreuse. On se retrouve quand même avec un bon manuel, lorsque ces astres s’aligneront.
Le livre du couple Duany/Plater-Zyberk et leur coauteur, Jeff Speck, est excellent comme outil de réflexion, de diagnostic et manuel de préparation pour le long et difficile travail de réconciliation du tissu urbain et naturel de l’habitat suburbain. Lorsque cet exercice devient possible, Suburban Nation permet de construire une fondation solide pour la réussir.
La semaine prochaine, avant de se lancer dans une série de plus de deux (2) mois sur l’habitation et le logement, un petit détour pour examiner un ouvrage sur une question parallèle et parfois reliée, soit celle du patrimoine et de l’héritage bâti (tel qu’applicable au Québec du moins), L’habitude des ruines—Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec.
(2022-05-12 : le texte sera publié le lundi 16 mai. Une liste des livres examinés dans la série « habitation et logement », avec leurs dates de publication, est disponible en première page, ici.)