Boom Town [The fantastical saga of Oklahoma City, its chaotic founding, its apocalyptic weather, its purloined basketball team, and the dream of becoming a world-class metropolis]. Sam Anderson, Crown Publishing, 2018, 448 p.
Il serait difficile de trouver une ville qui soit, pour moi, aussi conceptuellement éloignée qu’Oklahoma City. En fait, si je n’avais pas eu la chance d’entendre une entrevue avec l’auteur, ce livre n’aurait jamais été ajouté à ma liste. Mes connaissances sur la ville et sa région se limitaient au souvenir de l’attentat meurtrier sur l’édifice du gouvernement fédéral, au début de la présidence de Bill Clinton. Nul besoin d’en savoir plus, me disais-je. Évidemment, j’avais tort et grâce à l’ouvrage de Sam Anderson, il est possible de découvrir cette « great minor city of America. » (p. XVII.)
Chaque chapitre est une aventure composée des personnages (Angelo Scott, Ralph Ellison, Clara Luper, Stanley Draper, Gary England, Wayne Coyne) et de la chronique à la fois rocambolesque, souvent loufoque mais aussi douloureuse et tragique d’Oklahoma City. Le rocambolesque se trouve dans l’histoire de sa fondation (par voie d’un « land rush » quasi génocidaire), le loufoque dans la politique des décennies suivant sa fondation et finalement la douleur tragique dans la gouvernance ségrégationniste (Jim Crow) qui a marqué violemment la ville, sa région (le Black Wall Street Massacre de Tulsa) et l’état, jusqu’au mouvement pour les « civil rights » des années 1950-60 (et ce n’est pas fini, bien sûr).
La technique narrative de Sam Anderson nous fait suivre ce parcours en alternant avec les moments forts de la meilleure saison des Thunder, équipe de la NBA nouvellement acquise de Seattle (les SuperSonics). C’est un véritable tour de force stylistique en plus d’être un véhicule paradoxalement résilient afin de mettre à nu les dynamiques sociales et économiques de la ville actuelle. Mais les passages qui ouvrent les yeux de l’urbaniste sont ceux où il est question du « urban renewal » proposé en 1964 par M.I. Pei (oui, l’architecte connu ici pour sa participation à la conception de la Place Ville-Marie); Oklahoma City n’est toujours pas cicatrisé.
Boom Town, c’est quelques heures d’une lecture qui donne à s’absorber d’Oklahoma City, une ville qui laisse pantois et ébahit par sa capacité à se faire paraître plus grosse que le bœuf, et à en payer le prix fort, avec ses cycles de booms euphoriques et de busts écrasants.
Sur les traces de Boom Town
J’étais persuadé d’avoir découvert le livre grâce à une entrevue donnée par l’auteur à l’émission Fresh Air, sur NPR, mais je n’arrive pas à en retrouver la trace. En 2018, Boom Town faisait aussi partie des 10 livres marquants soulignés par le site Web spécialisé, Planetizen. Bref, pendant quelques mois en 2018-19, le livre était « the talk of the town ».
En lieu de bibliographie, qui serait plutôt inusité pour ce type d’ouvrage, au carrefour entre le récit personnel, le récit journalistique, la sociologie et l’histoire, l’auteur nous offre des notes sur ses sources. Je mentionnerais simplement deux sources ici : l’ouvrage Oklahoma : A History (W. David Baird) et un blogue, Doug Dawgz. Même si ce dernier semble inactif depuis 2015, l’auteur lui accorde un large crédit comme étant « a model of meticulously researched civic curiosity […] the equivalent of many books. » (p. 413.)
Depuis la lecture du livre, je porte une attention plus particulière à ce petit état et sa capitale. Le hasard a voulu qu’une des meilleures miniséries télé de l’année se déroule justement dans l’état d’Oklahoma, avec comme centre improbable la petite voisine et rivale d’Oklahoma City, Tulsa. Je parle ici bien sûr de Watchmen. Une belle façon de découvrir une facette méconnue de l’histoire (la trame est évidemment fiction-fantaisie, mais le point de départ et le contexte sont horriblement réels) et de vivre une puissante expérience narrative.
Pour terminer, je n’en parlerais probablement jamais ici, mais un livre vient de paraître pour ceux qui, comme moi, vont attraper le « Oklahoma bug » après la lecture de Boom Town : The Great Oklahoma Swindle: Race, Religion, and lies in America’s Weirdest State. Le titre parle pour lui-même.