Urban Acupuncture—Celebrating Pinpricks of Change that Enrich City Life. Jaime Lerner, Island Press, 2014, 144 pages [version e-book lu sur Kindle].
Le 27 mai dernier, on apprenait le décès de Jaime Lerner, surtout connu ici comme l’ancien maire de Curitiba, au Brésil, et précurseur dans la mise en service d’un des premiers systèmes d’autobus rapide en site propre (plus connu sous son sigle anglais de BRT).
Jaime Lerner était certainement de ceux qui, de par son approche aux situations spécifiques et universelles de sa ville, ont le plus innové dans ses interventions sur la ville au cours des dernières décennies. Sa démarche se caractérisait par des solutions économiquement abordables, génératrices d’une véritable richesse urbaine et collective, et de design de projets urbains à la fois simples, élégants, adaptables et mobilisateurs. Ceci lui a valu d’acquérir une notoriété qui finira par dépasser de loin les frontières de sa municipalité et de son pays ; pas seulement dans les cercles urbains et architecturaux, mais aussi pour quiconque porte attention aux phénomènes urbains. Tout cela m’a rappelé que j’avais acheté, il y a quelques années, son seul livre traduit ; c’était le moment de le lire.
Dans ce court volume, ce que Lerner cherche vraiment à évoquer, grâce à quelque dizaine de vignettes, c’est à quel point, dans une ville, chaque geste, de l’humble système de récupération, en passant par la restauration historique sensible d’un bâtiment, ou le dépanneur ouvert du matin au soir et dans la nuit, comment tous ces évènements peuvent se transformer en multiplicateur de dynamisme urbain et social.
La notion avancée ici, celle d’une « acupuncture » urbaine, une forme d’urbanisme tactique avant l’heure combinent les vertus de l’élément singulier en contexte urbain, comme le musicien ou l’artiste de rue, la devanture animée d’un commerce ayant pignon sur rue, aux effets bénéfiques d’ensemble plus large, comme les rues marchandes aménagées en mini ramblas. Souvent, ces interventions sont la résultante d’une mobilisation locale, prenant racine dans une volonté populaire de régénération urbaine. Ainsi « l’aiguille » de « l’acupuncture » locale fait sentir ses bénéfices sur la globalité de « l’organisme » urbain.
La seule pathologie, selon Lerner, qu’il faut combattre à tout prix ? « Urban cholesterol », qui est « the buildup of excessive automobile use in our [urban] veins and arteries ». Imparable !
Sur les traces de Urban Acupuncture
Pour un personnage qui est quand même en deuxième position dans une liste des 100 plus influents « urbanistes » de tous les temps (après seulement Jane Jacobs), il m’a semblé que le décès de Jaime Lerner est passé relativement inaperçu (le New York Times ne lui a curieusement pas encore consacré un « orbit »).
Le site Archdaily lui accorde un bon court papier, qui renvoie à une source première brésilienne, et Planetizen reprend l’essentiel de ce dernier. On y trouve toutefois quelques détails de plus, comme ce lien vers un reportage du New York Times sur Curitiba et l’héritage laissé par son ancien maire. On le soupçonne bien, tout n’est pas vallée fleurie et rivières de miel. Mais globalement, les effets positifs des programmes urbains mis en place durant ses premières années d’effervescence font de Curitiba, encore aujourd’hui, un des meilleurs ensembles urbains du Brésil.
Un autre article, cette fois dans la rubrique urbaine Curbed du magazine New York, donne plus de détails sur les faits saillants de son parcours. Un des points soulevés et trop souvent négligés lorsque l’on aborde la conception et la mise en place de son système révolutionnaire d’autobus rapide en site propre (BRT) est que Lerner et son administration ont insisté pour que le réseau soit marié à un programme (plan) d’utilisation intensive des sols le long des grands « troncs » du système. Ce mariage étroit entre accessibilité en transport en commun, intensification et diversification (résidentiel et commercial) des usages le long des corridors est essentiel à la réussite globale du réseau et du transfert modal (automobiles vers transport en commun) recherché dans de telles circonstances. Malheureusement, ce mariage est rarement consommé (Québec et son réseau de Métrobus sont l’exemple type d’un tel échec). Évidemment, c’est le point le plus sensible politiquement et ainsi le plus complexe à faire aboutir, dans le meilleur des cas.
En dernier lieu, j’ai découvert ce site Web de l’Instituto Jaime Lerner. Toutes les pages possèdent une version anglaise, mais le matériel produit par l’institut est essentiellement réservé à celle et ceux qui ont la chance de lire le portugais.