Saving the City. The Challenge of Transforming a Modern Metropolis. Daniel Sanger, Véhicule Press, 2021, 300 pages. [Lu en format e-pub sur Apple Books]
On dit souvent que le journalisme peut être assimilé à une première version de l’histoire. Dans cette veine, Saving the City se veut une première version de l’histoire de Projet Montréal et des gens qui l’ont fait naître, exister et dans le meilleur des arrondissements, agir pour le bien de la collectivité. Le parti et ses membres peuvent maintenant se compter parmi les rares bénéficiaires d’une histoire à la fois très personnelle et politique de tous les acteurs ayant le moindrement agi sur le cours de son histoire ; de ses origines au milieu de la première décennie du 21e siècle jusqu’à ce printemps et le début de cette campagne électorale municipale qui s’achève.
Comme lecteur, le récit que Daniel Sanger a réussi à en tirer est des plus habile, fait d’une part de la connaissance unique qui vient avec le privilège d’avoir été un des participants de la première heure et d’autre part, de l’accès qui lui a été accordé par la suite par les principaux acteurs impliqués. Projet Montréal, comme tout parti ou mouvement, est avant tout une coalition de gens désirant trouver un véhicule afin de réaliser certaines politiques jugées être dans l’intérêt de la cité et du public. Mais au niveau municipal, surtout dans une ville politiquement complexe comme Montréal, les regroupements pouvant unifier autant les gens des arrondissements centraux que ceux de la périphérie (est ou ouest) sont rares, fragiles et éphémères. C’est la principale raison que dans l’histoire de Montréal, la plupart des coalitions se sont formées autour «d’hommes du moment», que ce soit Drapeau, Bourque ou Tremblay. S’ils existent même encore, après leurs départs de la scène, leurs partis municipaux deviennent rapidement des coquilles vides. La seule exception à cette règle a été le RCM, qui était une vraie coalition d’intérêts translinguistique (anglo-franco), avec une vraie présence «indigène» au centre, à l’est et à l’ouest de la ville.
Sur le plan politique municipal, dans notre monde contemporain, le seul parti qui réussit (mais pas tout à fait) à reproduire des éléments (fragiles) de cet assemblage porteur est certainement Projet Montréal, que d’aucuns appelle même un «RCM 2.0». À l’inverse, le RCM peut être figuré comme un «proto-Projet-Montréal» (p. 19).
Sur les traces de Saving the City
On présente souvent Projet Montréal comme la «créature» de Richard Bergeron, et même s’il est vrai qu’il en a été le chef fondateur, et qu’une partie des premiers adhérents ont été attirés par sa vision de tramways urbains partout, pour tout et comme solution à tout les maux de «mobilités», autant (sinon bien plus) de gens se sont regroupés dans le parti parce qu’il était essentiellement le seul véhicule pour une vision plus progressiste, éclairée et humaine du développement, de l’aménagement urbain et de l’urbanisme en général. En fait, c’est avec cette histoire à la première personne racontée avec brio dans Saving the City que l’on apprend ce que la plupart des gens, observateurs de la scène politique montréalaise devinaient bien «from the outside» : Richard Bergeron fut son propre pire ennemi et l’instrument presque unique de ses cuisants revers (qui furent aussi tragiquement ceux du parti).
Pour ajouter à ce portrait, je me souviens d’une présentation de lui à l’Institut d’urbanisme à propos de «son» réseau de tramway, devant un auditoire de futurs urbanistes, d’urbanistes et de professeurs. Normalement un auditoire conquis à ce type de projet en était sorti, si c’est possible, plus dubitatif et rebuté à l’idée. Il avait été fidèle à sa réputation, avec «one excessive long speech» (p. 221), «brilliant as ice, and about as warm too» (p. 10).
En fait, c’est finalement sans lui, en 2017, que le parti a réussi à former, de peine et de misère, une coalition en mesure de conquérir autre chose que l’arrondissement du Plateau. La course à la chefferie de 2016, qui a vu Valérie Plante prendre la gouverne du parti, fut des plus bizarres, personnelle et amère («Who the fuck is Justine McIntyre?» p. 274). Pas étonnant de lire après que même une personnalité remplie d’enthousiasme, d’énergie et d’un esprit volontaire comme Valérie Plante puisse en ressentir des effets qui se manifestent jusqu’à ce jour.
Saving the City est la lecture parfaite pour qui veut se faire une idée «from the inside» de la politique municipale dans une grande métropole comme Montréal. Un «page-turner» digne des meilleurs thriller urbain.