Building the Cycling City—The Dutch Blueprint for Urban Vitality. Melissa Bruntlett & Chris Bruntlett, Island Press, 2018, 242 pages [e-book lu sur l’application Kindle].
Difficile d’imaginer une région du monde plus à l’aise avec l’utilisation de la bicyclette comme mode de déplacement banal et quotidien que les Pays-Bas. Si l’on se fit aux récits contenus dans ce premier ouvrage du couple vancouvérois Melissa & Chris Bluntlett, cette pratique de mobilité active sur deux roues est tellement intégrée dans la fibre nationale néerlandaise qu’il est difficile de faire prendre conscience au citoyen moyen du pays l’ampleur de la situation exceptionnellement privilégiée dont il est le bénéficiaire. Mais comme ce livre le montre aussi, ces acquis, cette banalité ordinaire des déplacements à deux roues qui caractérise si merveilleusement le pays est venue au prix de nombreuses luttes et d’une volonté locale polyphonique, très diversifiée dans ses motivations et pulsions premières. Quelques changements de circonstance, un peu moins de pression, quelques votes de conseils municipaux remportés par une voie de majorité, défaits par une autre voie, et nous serions devant des Pays-Bas qui ressemblent plus à la Belgique ou à l’Allemagne, plutôt qu’au Danemark.
Cela dit, il n’y a pas de doute que pour toute personne intéressée par la question d’un possible transfert modal vers la bicyclette, les Pays-Bas et ses villes clés, comme la capitale Amsterdam, bien sûr, mais aussi la moderne Rotterdam, la ville-forteresse de Groningen ou même l’ancienne ville industrielle d’Eindhoven, ont toutes leurs histoires bien particulières sur la voie de se réaménager avec la petite reine au cœur de leurs stratégies d’accessibilité urbaine. Dans ces Pays-Bas, la « modernité » automobile a bien tenté, mais ultimement échoué, de renverser une culture de l’accessibilité qui était déjà basée sur l’humble bicyclette pour la vaste majorité des déplacements et services urbains. Mais même dans ces circonstances plus que favorables, les luttes pour assurer la croissance sans payer le tribut de l’emprise automobile furent féroces.
Je veux croire qu’il est possible de mobiliser nos ressources afin de concevoir des milieux urbains où la bicyclette devient la norme (ou l’un des liens cruciaux) de nos déplacements. Ce livre illustre toutefois la fragilité d’une culture qui doit toujours s’actualiser dans un monde qui aimerait mieux nous savoir tous prisonniers d’un habitacle automobile.
Sur les traces de Building the Cycling City
En fait, j’aurais dû préciser plus haut que les auteurs sont anciennement de Vancouver et font maintenant leurs vies à Delft, aux Pays-Bas. En d’autres termes, ils ont tellement aimé la façon de vivre l’accessibilité urbaine à bicyclette qu’ils ont choisi d’y élire domicile. Considérant la nature de leur travail respectif (Mobycon pour elle et le fameux Dutch Cycling Embassy pour lui), cela ne pouvait mieux tomber. Les auteurs sont toutefois les premiers à admettre, en introduction, que la réalité de leurs pays d’adoption, cette interrelation si étroite entre mobilité à bicyclette et aménagements urbains conçus en ce sens « took over 50 years of incredible hard work, a bit of good fortune, and some forward-thinking decisions that extended far beyond the current political cycle » (page 6). Ce n’est pas que c’est impossible, le défi reste simplement colossal, dans le meilleur des cas.
Toute ville d’une certaine importance aux Pays-Bas, de l’après-Deuxième Guerre jusqu’aux années 1970, a connu son flirt particulier avec la modernité, synonyme d’automobiles et des aménagements destructeurs que cela entraîne. Les auteurs en font d’ailleurs l’historique, le plus souvent même avec les acteurs impliqués dans ces « échapper belle ». Un exemple assez spectaculaire est la petite ville universitaire de Groningen. Ce court film (mentionné dans l’ouvrage) en donne un bon résumé, et sa chronologie s’applique à presque tout le pays.
Dans un chapitre justement intitulé « Not Sport. Transport », les qualités pérennes de la bicyclette « hollandaise », comme sa simplicité robuste et sa polyvalence, sont évoquées en tant que facteurs de son succès persistant. Mais une des choses qu’on doit retenir est que le pays est, en ce moment, l’épicentre de l’innovation, en matière de vélos à assistance électrique et des nouveaux vélos cargo (souvent les mêmes). Les auteurs mentionnent un festival annuel sur ce type de vélo et donnent l’exemple d’une compagnie de vélos cargo commencée par un enthousiaste, maintenant la référence dans le domaine et distribué dans le monde entier.
En dernier lieu, une ressource du point de vue de l’aménagement urbain et de l’architecture, qui semble assez pertinente : The City at Eye Level, (aussi un livre) inspirée entre autres des concepts développés par Jan Gehl. Nous y reviendrons.